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Et vous, connaissez-vous Ephraïm Grenadou du village de Saint-Loup ?

Grenadou.jpegLe 25 octobre 1993, à Nogent-le-Phaye, mourait Ephraïm, Hermann, Moïse Grenadou à l’âge de quatre-vingt-seize ans... Un article de Philippe Collonge. 

De nombreux Français, et en particulier les Euréliens, l’avaient découvert quelques vingt-cinq années plus tôt à l’occasion de la parution aux éditions du Seuil, d’un ouvrage considéré comme un modèle de « biographie-interview ». Son titre ? « Grenadou paysan français ». La consonance du nom de ce paysan beauceron  - outre l’originalité de ses trois prénoms (1 ) - nous surprend, et l’histoire de sa vie, fidèlement rapportée avec ses propres mots, nous plonge dans une période qui, bien que proche, nous paraît d’un autre temps ...

Grenadou ed originale.jpg« Eh bien,voilà : je m’appelle Grenadou Ephraïm, né en 1897 à Saint-Loup, dans le département de l’Eure-et-Loir. Ma mère était du village et mon père de Meslay-le-Grenet, à six kilomètres.
Dans mon enfance , le village comptait quatre cents habitants, plus une centaine d’ouvriers qui venaient d’ici et là : charretiers, bergers, vachers, moissonneurs; dans une ferme moyenne, au moins dix ouvriers. Peu de grandes fermes, un pays de petits cultivateurs, à l’exception du marquis de Roussy de Sales, monsieur le Maire, qui possédait deux cents hectares, le cinquième du pays. De son château de Chenonville, il venait à la messe tous les dimanches dans une calèche tirée par deux chevaux et conduite par un cocher en gants blancs. Quand il rendait visite à l’école, nous, les enfants, nous nous levions et nous criions: Bonjour, monsieur le Maire ! Bonjour, monsieur le Marquis !... »

Dans son texte de présentation , Alain Prévost, journaliste et écrivain, explique l’origine de l’ouvrage: « En 1959 je me suis installé à Saint-Loup ; nous sommes vite devenus amis. Pendant les heures de billard ou de chasse je découvrais quelques passages de la vie de ‘Phraïm. Quelle tentation pour un écrivain ! »

Au cours de l’hiver 1965, Prévost, qui habite l’ancien prieuré du village, enregistre Grenadou : en tout soixante heures de magnétophone. La transcription fidèle de ces heures d’écoute nous permet de découvrir Ephraïm, tour à tour écolier peu assidu, spectateur ébloui par le formidable spectacle « Buffalo Bill » organisé  à Chartres en juin 1905, gardien d’un cent d’oies, enfant de choeur confessant « le pire de ses crimes » - avoir pissé dans le bénitier de droite - , puis découvrant en 1911 la première faucheuse-lieuse du village avant d’être employé à quatorze ans comme charretier (2) par son père.
Grenadou.jpgIl travaille dur toute la semaine et le dimanche court les bals de village, joue au billard dans les cafés - Saint-Loup en comptait cinq à l’époque ! - et s’engage à dix-huit dans l’artillerie (la présence à l’époque de nombreux chevaux dans cette arme n’est pas étrangère à son choix). Il nous conte avec simplicité ses fonctions « d’ordonnance » d’un sous-lieutenant de son âge, ses séjours au Front entrecoupés de quelques permissions au pays, ses affectations successives en Italie, en Belgique, en Allemagne et ses rencontres amoureuses avant son mariage en octobre 1919 avec Alice, sa payse.
Son retour à Saint-Loup est marqué par différentes expériences d’élevage – veaux et cochons – et par le patient accroissement des terres qu’il exploite avec son père, avec l’achat de son premier tracteur d’occasion en 1926. Il se rappelle, la même année, l’arrivée de l’électricité au village… et celle de l’eau courante dix ans plus tard.

Nous découvrons avec lui la formidable évolution du monde paysan, les crises des années trente, puis à nouveau la guerre et les routes de l’exode.  Il décrit la période de l’occupation, l’époque du marché noir et des réquisitions allemandes. Lui et sa famille - il a trois filles – doivent s’adaptent à ces temps difficiles, mais en sous-main Grenadou apporte son aide aux réfractaires et aux résistants. Il se remémore aussi les soubresauts qui agitent le pays chartrain au moment de la Libération.
Puis vient le temps de l’après-guerre ; Ephraïm approche la cinquantaine et tout s’emballe : c’est l’achat d’un nouveau tracteur, la création d’une coopérative regroupant plus de mille hectares, l’acquisition d’une batteuse en commun puis, dix ans plus tard, une batteuse pour chaque exploitant et le remembrement des terres de 1957... A force de travail, d’initiatives et de progrès, les vingt-cinq hectares éparpillés que cultivait son père sont désormais cent soixante-dix hectares bien regroupés qui produisent chacun une récolte qui a plus que doublé en volume...

Grenadou, témoin du siècle Sous la lime.jpgLorsque le livre paraît, au printemps 1966, il suscite un vif intérêt national. Ephraïm Grenadou symbolise un monde qui a connu d’incroyables bouleversements en moins d’un siècle et dont chacun comprend qu’il est en train de disparaître. Plusieurs reportages télévisés lui sont consacrés. Accompagné d’Alain Prévost il participe à l’émission de Pierre Dumayet « Lectures pour tous » et le ministre Edgar Faure lui remet personnellement le prix « Eugène Le Roy ». Ces  évenements ne bousculent pas les habitudes d’Ephraïm qui va vieillir paisiblement dans son village natal. Il y a fait bâtir une maison moderne mais il ne l’habite pas : il y loge un commis et reste fidèle à son ancienne chaumière. Son épouse Alice Moullard décède en 1988 et lui-même termine sa vie cinq ans plus tard aux Jardins d’automne de Nogent-le-Phaye. Ses trois filles lui ont donné de nombreux petits-enfants. C’est son gendre André Richer, l’époux d’Eliane, qui a repris l’exploitation et, à son tour, l’a transmise à son fils Gérard.
Gérard Richer, le petit-fils d’Ephraïm, est retraité depuis peu et vit toujours à Saint-Loup (3)  ; il entretient la mémoire de son grand-père et garde des liens d’amitié avec la famille d’Alain Prévost, décédé brutalement en 1971, à l’âge de quarante et un ans, dans son prieuré de Saint-Loup.

Au terme d’une vie bien remplie, Ephraïm Grenadou  (1897-1993) et son épouse Alice Moullard (1899-1988) reposent désormais au cimetière de Saint-Loup situé  rue ... du Repos !

Note 1 . Les prénoms bibliques étaient une tradition chez les Grenadou puisque le père et le grand-père d’Ephraïm se prénommaient déjà Moïse. Quant à Hermann c’était, semble-t-il, le saint du jour de sa naissance (25 septembre)...  

Note 2 . Si généralement le charretier est un conducteur de charrette, il désigne par extension, et particulièrement en Beauce, un conducteur de chevaux de herse ou de charrue. Emile Zola, toujours bien renseigné, écrit : « Il y avait à La Borderie cinq charretiers pour cinq charrues. » (La Terre – 1887)

Note 3 . Gérard Richer et son épouse occupent au coeur de Saint-Loup une belle bâtisse qui fut jusqu’en 1926 la résidence du général Gustave Régnery, Saint-Cyrien sous le second Empire et Grand Officier de la Légion d’Honneur.

Cet article a été écrit par l'historien Philippe Collonge et publié dans La Gazette, éditée par l'Association "L'Amitié Beauce, Perche, Thymerais". Il est republié ici avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'Amitié. 

"Grenadou, paysan français" par Ephraïm Grenadou et Alain Prévost, a été édité au Seuil  en 1966, puis réédité en poche dans la collection Points-Histoire. On trouve toujours la première édition, notamment dans les brocantes. 

Les abonnés à l'excellente chaîne "Madelen" de l'Institut National de l’Audiovisuel, peuvent entendre un entretien avec Ephraïm Grenadou

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Pour contacter le Cercle Condorcet-Viollette: charlesconte@laposte.net 

Histoire populaire de l'Eure-et-Loir

Le Cercle Condorcet-Viollette propose en ligne l'Histoire populaire de l'Eure-et-Loir dans laquelle figure Ephraïm Grenadou. 

cercles_condorcet_CMJN_couleur.jpgLes Cercles Condorcet sont affiliés à la Ligue de l'enseignement. Mouvement d'éducation populaire laïque, la Ligue est une confédération réunissant des Fédérations départementales, dont celle d'Eure et Loir.  La Ligue est aussi un mouvement d'idées. Les initiatives des Cercles sont accompagnés par une édition "Cercles Condorcet" sur Médiapart. La Ligue anime également une édition "Laïcité". 

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