La Cancel culture
Un plaidoyer de Jean-Louis Failly en faveur de la liberté d'expression.
La Cancel culture, l’appropriation culturelle ou la limitation de la liberté d’expression et du devoir de mémoire
Introduction
Depuis quelques années est apparue aux Etats-Unis d’Amérique une mouvance qui préexistait sous d’autres formes, et qu’il est convenu de dénommer cancel culture, mouvement qui commence à gagner la France et d’autres pays d’Europe.
Cette cancel culture, encore appelée « culture de l’annulation » ou call out culture (culture de la dénonciation) est une « dénonciation publique ayant pour but d’ostraciser des individus ou des groupes considérés responsables d’actions ou de comportements avérés ou supposés problématiques et perçus comme tels ».
Plus précisément, ce terme de cancel culture a été traduit de différentes façons parmi lesquelles : culture du bannissement, culture de l’annulation, ostracisme, culture de la négation, de l’anéantissement, de l’effacement, de la suppression, du boycottage, de l’humiliation publique, de l’interpellation, de la dénonciation. Il s’agit donc d’un véritable lynchage numérique, sans preuve, qui alimente les réseaux sociaux dans ce qu’ils ont de plus tyrannique.
Cette culture de la dénonciation est une forme d’auto-justice à laquelle sont soumises les victimes, qui sans aucune procédure légale sont jugées sur les bancs du tribunal médiatique selon l’appréciation générale d’un groupe qui s’octroie une légitimité qu’il n’a pas. Certains auteurs assimilent ce mouvement à du cyber-harcèlement qui interdit tout débat et expressions d’opinions divergentes. L’essayiste et historienne Laure Murat estime que, malgré les excès qu’elle engendre, la cancel culture provient d'un grand sentiment d'injustice.
Je parlerai donc de la cancel culture et de l’appropriation culturelle dans les pays anglo-saxons, puis en France où elle est apparue récemment avant d’aborder le politiquement correct et le déboulonnage des statues de personnages célèbres.
Les manifestations de la cancel culture
L’appropriation culturelle
Au Canada et aux USA et dans les pays anglo-saxons
La référence d’Oxford désigne l’appropriation culturelle comme « la reprise de formes, de thèmes ou de pratiques créatives ou artistiques par un groupe culturel au détriment d’un autre ». Cette action avait pour but de protéger les œuvres d’art qui faisaient l’objet de pillage comme ce fut le cas en Afrique ou en Asie et qui ont conduit la France à les restituer aux pays d’origine.
Mais, d’une intention louable, le débat s’égare vers des outrances comme nous allons le voir à travers quelques exemples.
C’est ainsi qu’au Canada, des étudiants exigent la suppression d’un cours de yoga pour ne pas « s’approprier » la culture indienne, tout comme des étudiants américains le font sur les campus en traquant les menus asiatiques dans les cantines ou en refusant d’étudier les grandes œuvres classiques comportant des passages jugés « offensants ».
Dans ces universités américaines, normalement érigées en temples du savoir, la moindre contradiction est vécue comme une « micro-agression » au point d’exiger des safe spaces, ces espaces sûrs qui garantissent l’entre-soi, et où on fuit l’altérité et le débat. On ne peut s’exprimer qu’en fonction du genre et de la couleur de peau.
Récemment, l'arrière-petit-fils d’Agatha Christie, James Prichard, a fait modifier le titre de l’un des romans les plus connus de sa grand-mère, Dix petits nègres en Ils étaient dix, pour que le terme « nègre » disparaisse jusqu’à le remplacer par soldat dans le texte. Il explique que c'est dans l'air du temps et qu’il tient compte de la polémique autour du film Autant en emporte le vent, retiré des plateformes car jugé raciste, avant d'être republié avec une vidéo contextualisant l’œuvre.
Les porteurs de « coiffure afro », de dreadlocks ou de simples tresses dites « africaines » sont taxés du même vocable et pour certains contraints à de plates excuses comme ce fut le cas pour Katy Perry l’auteure-compositrice-interprète américaine. Des étudiants de l’université du Québec considèrent les dreadlocks d’un humoriste blanc, Zach Poitras, comme une « violence » envers les « personnes issues d’une culture historiquement dominée » et font annuler son spectacle. Ce qui est étonnant c’est l’inculture de ceux qui affirment que les dreadlocks sont d’origine africaine, alors que, même si certains peuples d’Afrique en portent, elles ont leur origine dans les familles royales égyptiennes de l’antiquité, mais aussi dans le védisme puisque le dieu Shiva en portait, et au Mexique chez les prêtres aztèques.
Lors des obsèques du chanteur sud africain Johnny Clegg, défenseur de la culture africaine et surnommé pour cette raison « le zoulou blanc », ce dernier a été accusé par des activistes français et américains d’avoir vécu d’appropriation culturelle.
Dans le même ordre d’idée, les suprématistes blancs aux Etats-Unis, qui craignent la disparition de leur culture et leur dissolution dans le métissage, se regroupent en de nombreuses mouvances parmi lesquelles le tristement célèbre Ku Klux Klan, et maintenant les Qanon, les Proud boys et les Alt right. Ces groupes sont contre le féminisme, le multiculturalisme, mais prônent le racisme, le sexisme, l’antisémitisme. Ils sont en outre conspirationnistes et opposés à l’immigration. Dans un pays où les blancs sont tous des migrants qui ont éradiqué dans la violence les cultures amérindiennes et les Amérindiens eux-mêmes, le propos est pour le moins osé.
On en arrive à des aberrations. Ainsi l’exigence de certains pour que le texte lu par la poétesse Amanda Gorman lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden soit traduit uniquement par une femme noire. Dans un premier temps, aux Pays Bas, Marieke Lucas Rijneveld a renoncé à traduire ce poème à la suite de la publication dans le journal De Volkskrant de l’article intitulé : « Une traductrice blanche pour le poème d’Amanda Gorman : incompréhensible ». Par la suite le traducteur catalan Victor Obiols s’est vu retiré cette même traduction au motif qu’il « n’avait pas le bon profil ». On recherche depuis « une femme, une militante, de préférence noire ». Voilà un bel exemple de cancel culture.
A la biennale du Whitney Museum de New York en 2017, le tableau Open Casket de Dana Schutz, fait scandale. Il s’inspire d’une photo du cadavre au visage défiguré d’Emmett Till, gamin de 14 ans torturé et tué en 1955 par les suprématistes blancs du Mississippi. Dans une lettre parue dans la presse, plusieurs écrivains afro-américains clament que « Cette peinture doit s’en aller ! », et pour certains qu’elle soit détruite en arguant que « Il est inacceptable qu’un Blanc transforme la souffrance noire en profit et en spectacle ». Il est donc interdit à un blanc de dénoncer la souffrance des opprimés au risque de représailles. La même mésaventure est arrivée à Sam Durant pour son œuvre intitulée, Staffold, qui dénonçait la pendaison de 38 Indiens du Dakota en 1862. Il dû démonter son installation face à l’hostilité des Amérindiens qui ne voulaient pas qu’un blanc raconte leur histoire.
De la même façon, Tania de Montaigne auteure d’une biographie de Claudette Colvin, première femme noire avant Rosa Parks à refuser de laisser sa place à un blanc dans un bus, biographie dans laquelle elle dénonce le racisme anti-noirs, s’est vue refuser le titre qu’elle proposait, Noire, au motif qu’elle est blanche. Au terme d’âpres discussions ce fut enfin le titre Black qui fut retenu.
Les exemples « d’appropriation culturelle » sont légion mais je me limiterai à ceux que je viens de décrire.
En France
La journaliste Caroline Fourest, dans son essai Génération offensée écrit « des groupes d’étudiants se déchaînent contre des expositions, des pièces de théâtre, au point d’empêcher leurs représentations ou d’interdire physiquement le moindre conférencier qui leur déplaît, parfois même en déchirant ses livres. Des autodafés qui rappellent le pire. »
Une pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, devait être jouée le 25 mars 2019 à la Sorbonne, par la compagnie Démodocos, spécialisée dans l’interprétation des tragédies grecques. Cette pièce relate le périple d’un peuple venu d’Égypte et de Libye pour demander asile aux Grecs. En plein débat sur les réfugiés et migrants, une cinquantaine de manifestants identitaires noirs ont empêché violemment les comédiens et les comédiennes de se préparer à la représentation. La cause de cette opposition était le port de masques, les persona, comme il était de coutume dans le théâtre grec antique.
A Paris, le metteur en scène sud-africain blanc Brett Bailey, a présenté Exhibit B, un spectacle déambulatoire qui reproduit un zoo humain tel que celui de l’exposition universelle de 1889. Il voulait établir un parallèle avec la situation actuelle des migrants d'Afrique subsaharienne qui constituaient l'autre partie des tableaux « vivants ». Des manifestations ont eu lieu, visant à interdire cette installation. Lilian Thuram, célèbre footballeur très engagé contre le racisme, a voulu juger par lui-même. Il en est ressorti ému et a apporté tout son soutien à l’artiste, trouvant le spectacle « très fort et très dérangeant ». Des organisations antiracistes comme la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou le Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP), ont fort heureusement également soutenu l’exposition. L’antiracisme recouvre deux acceptions, la première qui réclame l’égalité de traitement au nom de l’universel, la seconde qui exige un traitement particulier au nom de l’identité. Le premier est universaliste. Le second est identitaire.
C’est aussi au nom de ce principe d’appropriation culturelle que les dessinateurs athées de Charlie Hebdo se voient interdits par certains de représenter Mahomet, jugés du double péché de blasphème et d’appropriation culturelle.
Dernièrement, le syndicat étudiant l’UNEF, avec la montée des revendications identitaires chez les étudiants, a organisé des réunions non mixtes, réservées aux gens de couleur victimes de racisme ou de sexisme mais interdites aux blancs. Cette non mixité a pour objectif de restreindre les réunions ou certains moments des réunions aux seules personnes qui partagent un même problème, une même discrimination. Certes, ce type de réunion permet aux intéressés de s’exprimer dans un milieu donné et de faire émerger une parole intime, notamment dans le cas d’agressions sexuelles ou de propos racistes, sans crainte d’être jugé, mais le fait d’interdire à d’autres l’accès à ces réunions est une autre forme de racisme. Peut-on par exemple faire évoluer les mentalités patriarcales dans des groupes qui ne comportent que des femmes ? N’est-il pas préférable d’inclure des hommes dans le débat puisque c’est leur attitude à l’égard des femmes qui est en cause et pose problème ?
Kenan Malik écrivain, conférencier et diffuseur britannique d'origine indienne, voit dans l’appropriation culturelle « une version sécularisée du blasphème ».
En quoi un être humain, quel qu’il soit, ne serait pas légitime pour dénoncer les violences qui ont été faites, ou le sont encore, à un autre être humain ou à un peuple de culture, de couleur de peau, de religion ou de sexe différents ? En quoi ne serait-il pas apte à comprendre cette culture, cet individu ou ce peuple ? Ce serait passer de l’universel à l’identitaire, processus régressif qui conduit à une attitude contraire à l’humanisme. L’universel ouvre au monde, alors que l’identitaire emprisonne dans des ghettos qui conduisent au sectarisme, au rejet de la différence de l’autre. De telles attitudes sont à l’origine du racisme, du sexisme et du communautarisme et ne peuvent être que combattues.
Le politiquement correct : le déboulonnage et le vandalisme des statues.
Le 6 juin 2020, lors d’une manifestation en mémoire d’Adama Traoré, mort à la suite de son interpellation par la gendarmerie, des manifestants ont tagué de l’inscription « Négrophobie d’Etat » et recouvert de peinture rouge le torse et les jambes de la statue de Colbert, ministre de Louis XIV qui fut en 1685 à l’initiative du Code noir légiférant sur l’esclavage dans les colonies françaises. L’auteur du tag interpellé par les gendarmes s’est justifié en proclamant : « Ce qui est interdit, c’est le racisme. Cet homme-là [Colbert] fait l’apologie de la négrophobie ».
Colbert, fut un grand serviteur de l’Etat, promoteur de notre industrie et créateur des manufactures, soucieux de donner une indépendance économique et financière à la France. Le code noir est certes lié à l’esclavage, mais dans un contexte général favorable à cette aliénation en Occident et qu’aucun pays ne remettait en cause à cette époque.
Il faudra attendre Abraham Lincoln et Victor Schœlcher pour que prenne fin l’esclavage encore que pour ce dernier certains ont détruit deux de ses statues en Martinique, le jour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Cette action invraisemblable est justifiée par l’activiste Alexane Ozier-Lafontaine au prétexte que, je le cite « Schœlcher était complètement favorable à l’indemnisation des colons ». Or, Schœlcher s’il était conscient qu’il fallait accepter la question de l’indemnité, plaida aussi pour une indemnité dédommageant les esclaves. Cependant il n’obtint pas gain de cause auprès du gouvernement de l’époque, ce qui, aux yeux de l’activiste, réduit à rien son action. Est-ce une raison pour oublier ce qu’il a néanmoins obtenu ?
De la même façon, en plein centre de Lille le piédestal de la statue du général Faidherbe, conquérant, puis administrateur colonial du Sénégal, a été couvert des mots « colon » et « assassin » inscrits en rouge au lendemain d’une manifestation réclamant son retrait de l’espace public.
Cette mésaventure est également arrivée au buste de Charles de Gaulle vandalisé à Hautmont (Nord) qui s’est vu décoré du mot « esclavagiste » peint en rouge.
Ces dérives sont inquiétantes car elles remettent en cause notre histoire, les évènements et les hommes qui l’ont faite.
Il en va de même dans le monde de l’art et de la littérature. Certains veulent supprimer l’œuvre d’auteurs qui, dans le contexte de leur époque, ont écrit des textes en rapport avec la société dans laquelle ils vivaient. Nier cette évidence c’est ignorer ce que fut notre société et par la même éradiquer toute mémoire du passé et se priver de la mesure du chemin parcouru.
Quel individu, y compris dans notre monde contemporain, peut se targuer d’être parfait ? Il est des génies dans tout domaine qu’il soit, scientifique, littéraire, artistique ou autre, mais qui ne se sont pas révélés des individus exemplaires dans tous les aspects de leur vie. Doit-on pour autant les ignorer et les effacer de la mémoire collective ?
Dans le monde dominé depuis des siècles par les hommes et où les femmes avaient peu de place, il faudrait donc ne retenir aucun de ces noms qui ont fait l’histoire. Quel roi de France a été irréprochable au point de ne mériter aucun reproche ? Pour la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er, des voix se sont élevées pour s’en offusquer au prétexte qu’il était sexiste, raciste génocidaire, esclavagiste, confondant par la même occasion cette manifestation à la mémoire de l’homme avec une célébration ? Peut-on oublier que Napoléon a amené des réformes comme le code civil qui a aboli la féodalité, établi le concept d’égalité devant la loi sans oublier le fait que ce personnage a sauvé la Révolution face aux agressions des nobles émigrés et coalisés avec des pays ennemis de la France ? Il a aussi introduit le principe de la liberté de culte et donné à la France son système éducatif. Certes, il a aussi rabaissé les femmes à un statut d’infériorité alors que la Révolution les avait émancipées, et rétabli l’esclavage dans les colonies françaises. Mais peut-on imposer des critères moraux contemporains à des évènements passé dans une société qui en avait de bien différents.
Faire fi de l’histoire, c’est se priver de la mémoire de l’humanité. Sans mémoire comment pourrait-on dénoncer au fil des générations ce que l’on aurait oublié. Il s’agirait d’une forme de négationnisme comme certains, tel Robert Faurisson, qui a tenté de nier l’existence des persécutions nazies, des camps d’extermination et des chambres à gaz. De la même façon, éliminer les statues des esclavagistes c’est oublier l’esclavage. Il convient donc, de contextualiser les faits qui ont conduits ces hommes à la célébrité et à la postérité, sinon c’est éliminer de la mémoire collective le chemin parcouru par l’humanité.
Récemment le film J’accuse de Roman Polanski a fait l’objet d’actions en vue d’interdire sa projection en raison du passé du réalisateur condamné dans une affaire de mœurs survenue aux Etats-Unis en 1977 et impliquant une mineure.
Si l’attitude de ce cinéaste est condamnable, faut-il pour autant retirer son œuvre du domaine public ? Ne faut-il pas dissocier l’œuvre de l’homme ? Sinon, bon nombre d’auteurs ou d’écrivains verraient leurs œuvres soumises au pilon en raison soit des propos qui y sont tenus ou des situations qui y sont décrites, soit en raison des actions ou des prises de position par l’auteur au cours de sa vie. Il faudrait alors détruire l’œuvre de Richard Wagner parce qu’il était antisémite, celle de Gustave Flaubert parce que son héroïne, Emma Bovary, commet un adultère, ou encore l’œuvre de Voltaire en raison des bénéfices qu’il tirait de ces placements dans les colonies où sévissait l’esclavage en oubliant qu’il avait aussi défendu et réhabilité Calas, Pierre-Paul Sirven et le chevalier de la Barre. Ou encore Louis Ferdinand Céline parce que misogyne et antisémite.
La question s’est aussi posée lorsqu’il a été question de la réédition chez Fayard de Mein Kampf d’un certain Adolf Hitler. Si on commence à caviarder les œuvres parce qu’elles ne reflètent plus les valeurs de l’époque, qu’en restera-t-il ? Comment démontré à partir de l’œuvre source comment a été théorisé et mis en place le régime nazi ? Que restera-t-il de la mémoire collective et de l’histoire qui nous a amenés là où nous en sommes en oubliant les étapes qui ont construit les sociétés ? C’est une atteinte à la liberté d’expression, si chère aux démocraties, et qui a tant coûté aux générations qui nous ont précédés.
Plutôt que l’inclusion, la cancel culture prône l’exclusion. Cette exclusion s’exprime dans des émissions télévisées de téléréalité dont le principe est l’éviction des participants au fil des semaines. C’est ainsi que l’on vit en Autriche dans une émission réunissant des migrants qui espéraient l’obtention d’un permis de séjour, document qui n’était en définitive accordé qu’au gagnant, les perdants étant renvoyés dans leur pays d’origine.
Les réseaux sociaux, permettent sous couvert de l’anonymat de dénoncer et de s’ériger en juge sur des évènements et des faits non démontrés. Certes, il arrive qu’une vidéo, telle que celle exposant l’action du policier Derek Chauvin sur George Floyd, porte à la connaissance du public des exactions commises par des représentants de l’ordre, mais ce n’est pas toujours le cas.
Une mère de famille américaine, qui avait mis sur les réseaux sociaux les photos de l’anniversaire de sa fille pour laquelle elle avait pris pour thème le Japon, avec fleurs de cerisier, thé japonais, kimono, etc. fut couverte d’injures sur Internet car elle s’appropriait une culture qui n’était pas la sienne. Pourra-t-on toujours fêter un anniversaire avec des pizzas si on n’est pas italien. Mais cela gagne la France quand on entend dire avec le plus grand sérieux, comme cela s’est produit il y a quelques jours aux informations, que le cassoulet ne peut-être fait qu’à Castelnaudary, la choucroute en Alsace et la bouillabaisse à Marseille. C’est affligeant et sectaire.
De nombreux débats se trouvent racisés et genrés qui confinent à l’entre-soi, au communautarisme et à l’exclusion. Comment peut-on espérer se comprendre si l’on s’enferme avec les seules personnes qui ont les mêmes idées, les mêmes opinions, les mêmes aspirations ? Il faut au contraire se confronter aux idées et opinions des autres pour espérer faire surgir du débat des consensus et de la compréhension sans pour autant renoncer à ce en quoi on croit. Un chrétien doit pouvoir échanger avec un juif, un musulman, un athée, un taoïste, un bouddhiste, un animiste. Il convient donc de faire évoluer l’esprit de communauté vers celui de l’universalisme seul capable de prendre en compte le pluralisme des sociétés humaines.
Les démocraties sont menacées par une forme d’inquisition, une bien-pensance, dont les adeptes se confinent aux idées conformistes soumises au politiquement correct du groupe auquel ils s’identifient.
Condamner des personnages célèbres qui ont fait notre histoire au prétexte que leur comportement n’était pas conforme à ceux de nos sociétés modernes est non seulement une erreur mais aussi un oubli et un déni de notre passé. Pourquoi juger sans appel les sociétés premières comme les Polynésiens, les Mélanésiens et les Africains parce qu’ils pratiquaient le cannibalisme ? On doit regarder les événements et les peuples du passé, non pas avec le filtre de notre regard d’aujourd’hui, enrichi des connaissances acquises depuis, mais en les replaçant dans le contexte de l’époque dans laquelle ils se sont déroulés et où ils ont vécu. C’est ce qu’on appelle la contextualisation. Ne pas le faire est faire preuve d’obscurantisme, d’ostracisme et de mauvaise foi.
Ce mouvement de cancel culture, doit nous interpeller et nous inciter à réagir au risque d’être submergés par une vague d’intolérance.
La cancel culture est une atteinte à la liberté d’expression et à la non reconnaissance de l’autre, différent de moi. Elle légitime le boycott et l’ostracisme sans souci d’intégration. Dans notre monde moderne où de vastes courants migratoires sont amorcés, si se perpétue cet état d’esprit, cela ne pourra déboucher que sur des atrocités comme le monde en a déjà connues. La perte de mémoire des jeunes générations oublieuses des évènements qui se sont déroulés lors de la seconde guerre mondiale semble faire ressurgir les extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, qui mettent en péril les démocraties, fragiles de nature. L’Allemagne, qui fut un temps le berceau du nazisme voit de multiplier ces mouvements y compris en politique avec l’avènement de l’AFD (Alternative für Deutschland). Ces mêmes mouvements se développent aussi dans d’autres pays européens et à travers le monde.
Ne faisons pas comme Hafsa Askar, membre du bureau de l’UNEF qui, après l’incendie de Notre-Dame de Paris, crache sur Twitter : « Je m’en fiche de Notre-Dame de Paris car je m’en fiche de l’histoire de France ».
Nous nous devons de combattre cette dérive du monde moderne née de cette notion d’identité qui rejette celle des autres pour ne considérer comme valable que celle à laquelle on appartient. La crise identitaire qui gangrène nos sociétés, l’individualisme forcené confinant à l’égoïsme, sont les ferments du rejet de l’autre et de la montée des extrémismes de tout poil dont l’histoire est jalonnée. L’histoire est la mémoire de l’humanité, celle du long chemin dont on ne doit pas ignorer les étapes parsemées d’écueils au risque de les voir renaître. Restons ouverts, apprenons des cultures qui ne sont pas les autres, de ceux qui pensent différemment de nous. C’est le chemin qui nous mènera à nous comprendre, à nous enrichir de l’autre et à nous respecter pour que le vivre ensemble ait une chance de se développer. Il n’est pas interdit de rêver ! Alors rêvons !