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Le Wokisme et ses dérives sectaires

#StayWoke2.jpgDepuis quelques années est arrivée des États-Unis, en même temps que la cancel culture, un mouvement de contestation, le wokisme. Jean-Lou Failly, membre du Cercle Condorcet-Viollette présente son analyse de ce mouvement. 

Origine
L’origine du mot « wokisme » apparaît avec un chanteur de blues américain, Leadbelly, né Huddie William Ledbatter qui, dans l’une de ses chansons évoquant l’accusation d’adolescents noirs pour un viol de deux femmes, appelle à rester éveillé, en utilisant le terme « stay awoke ». Martin Luther King, fera appel à cette même expression, en 1965 en demandant aux jeunes Américains de rester éveillés et d’être des citoyens engagés pour dénoncer les injustices sociales envers les Afro-américains.
Être woke c’est donc être éveillé être conscient des injustices. Bien qu’existant dès le XIXe siècle avec Abraham Lincoln, qui dénonçait le racisme à l’égard des noirs américains, ce terme réapparait dans les années 1960-70 lors du mouvement pour les droits civiques et le discours de John Fitzgerald Kennedy en 1963. 
En 2014, avec le meurtre de Georg Floyd et la naissance du mouvement Black Lives Matter (la vie des noirs compte, ou les vies noires comptent), réapparaît le wokisme. Il avait pour but d’encourager la vigilance et l'activisme face à la discrimination raciale, avant de s’étendre aux inégalités sociales telles que celles subies par la communauté LGBTQ+, les femmes à travers le mouvement #MeToo, les immigrés, les handicapés et d’autres populations marginalisées, jusqu’à intégrer la mobilisation pour le climat.
 Étymologiquement donc ce terme vient de l’anglo-américain woke (« éveillé ») participe passé du verbe to wake, qui désigne le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale.
A ses débuts, ce mouvement woke trouve sa justification dans les inégalités manifestes que l’on rencontre aux USA, racisme et ségrégation. Il remet en cause l’homme blanc et son pouvoir ainsi que le patriarcat, mais il est contesté par ceux qui lui reprochent d'être une idéologie moralisatrice, sectaire et manichéenne pouvant porter atteinte à la liberté d’expression.
Le wokisme remet en cause la légitimité de la majorité et ne la reconnaît pas, comme on peut le voir aux USA lors des élections présidentielles de 2020 quand le président sortant nie la victoire de son adversaire et mobilise ses partisans à envahir le Capitole. 
Définitions
Il existe différentes définitions du wokisme et j’en ai retenu quelques unes qui me paraissent pertinentes et les plus proches de ce que ce terme signifie.
Selon Bérénice Levet, philosophe plutôt classée politiquement à droite, le wokisme se définit en quatre points.
    1. C’est un écran idéologique entre le réel et soi. Ce terme d’idéologie recouvre le fait que le wokisme dénonce la domination de l’homme occidental, blanc, hétérosexuel, catholique ou juif, sur tout ce qui n’est pas lui, ce qui englobe les femmes, les noirs, les pauvres, les handicapés, les animaux et la terre.
    2. L’esprit de l’Occident serait celui d’un prédateur.
    3. C’est aussi l’idée que le patriarcat, le colonialisme, l’esclavagisme ne sont pas des moments de l’histoire mais la nature de l’Occident dont ce serait la structure même et serait donc systémique.
    4. A cela s’ajoute la rhétorique victimaire selon laquelle l’Occident serait la fabrique de victimes, ce qui entraîne de sa part une dette contractée envers toutes ces minorités et ces diversités qui les autoriseraient à exiger des compensations sans fin à l’homme occidental entrainant une surenchère permanente et continue.
Relation avec la cancel culture
Pour Pascal Blanchard, historien, le wokisme est la critique de ce qui n’a pas été vu jusqu’à présent, ou laissé dans l’ombre, avant la naissance de ce mouvement. Il y voit aussi un parallèle avec la cancel culture, « culture de l’effacement » et le wokisme qui « éveille à », l’un pouvant se retrouver avec l’autre, mais pas forcément. C’est ainsi qu’aux États-Unis, le wokisme s’exprime de manière proche de la cancel culture, dans la controverse de son histoire, par le déboulonnage de statues telles que celle de Christophe Colomb, en raison du traitement réservé par ce personnage aux autochtones d’Amérique. Il en est de même pour celle de Théodore Roosevelt parce que représenté avec, au pied du cheval qu’il chevauche, deux personnages, indigène et africain, perçus comme stéréotypés et racisés, ou encore le changement de noms de rues quand celles-ci portent le nom de généraux sudistes défenseurs de l’esclavage. Ce même Pascal Blanchard, auteur de Sexe, race & colonies - La domination des corps du XVe siècle à nos jours, a été déclaré illégitime, pour parler de ce sujet par des auteurs américains, parce qu’il est blanc. On voit donc les liens étroits entre cancel culture et wokisme.
Relation avec l’université
Pour Pierre-Henri Tavoillot, l’université est un lieu propice au wokisme. C’est d’ailleurs sur les campus nord-américains qu’il s’est développé avant de devenir international. C’est un nouveau moralisme qui, sous un visage généreux masque un dogme et une inquisition. Pour le wokiste, l’Occident concentre tous les oppressions :
    • celle de l’ouest blanc sur le reste du monde (impérialisme),
    • de l’homme sur les femmes (patriarcat),
    • de la technique sur la nature (productivisme)
    • des riches sur les pauvres (capitalisme)
    • et des vieux sur les jeunes (conservatisme),
et les progrès sont des leurres dans lesquels le vieux mâle blanc producteur est un poly-prédateur oppresseur. Pour cela  il faut faire table rase du passé, changer les noms de rues, empêcher les conférences qui ne vont pas dans le sens des wokistes, modifier les titres des livres, voire leur contenu, comme le font les sensitivity reader ou démineurs éditoriaux, chargés d’examiner une œuvre littéraire avant publication en vue de débusquer des contenus pouvant être perçus comme choquants, offensants ou porteurs de stéréotypes ou de biais, et de rédiger un rapport avec des suggestions de réécriture. Ces sensitivity readers sont « de nouveaux gardiens de la morale » chargés d'appliquer le filtre de la cancel culture à la littérature. Que deviendra Louis Ferdinand Céline et que restera-t-il de son œuvre après le passage de ces censeurs ?
Ainsi le wokiste nie ce qui lui permet d’exister : la liberté d’expression. Il est à redouter la tentation de l’annulation, à savoir faire table rase du passé, de l’histoire, de l’art, de la littérature et de l’ensemble de l’héritage civilisationnel occidental désormais voué au pilori, un peu comme l’ont fait les talibans, en détruisant les Bouddhas de Bâmiyân, ou l’état islamique sur le site de Palmyre.
Selon la sociologue Nathalie Heinich, des stratégies se sont développées à l’université, cumulées avec le militantisme pour éveiller sur les discriminations et qui consistent à centrer tous les débats et toutes les conceptions de la société et de la citoyenneté sur ces discriminations des communautés ou minorités considérées comme sujettes au racisme, au sexisme, à l’homophobie, etc. Ce qui au départ est une idée progressiste en vient à occuper tout l’espace en prenant la place des travaux de recherche pour les remplacer par des travaux militants, mélangeant ainsi science et militantisme. La sociologue désigne ces chercheurs sous le terme d’académo-militants.
Ainsi, on ne transmet plus du savoir et de la connaissance mais des opinions politiques. On prive alors les jeunes étudiants de la compréhension de ce qu’est la recherche en leur proposant des slogans et une forme de catéchisme avec toujours les mêmes types de concepts très limités, domination, discrimination, patriarcat, etc. qui leur laissent à penser que le travail universitaire consiste à démontrer ce que l’on sait déjà. De fait, les enseignants se sont wokisés, de même que les administrateurs de la recherche, en imposant des projets tels que le genre ou la race, et qui interviennent, tant au niveau français qu’européen et entérinent l’idée que la recherche légitime serait entièrement tournée vers la description et la critique de toutes les formes de discrimination. Si cela peut légitimement être un sujet de recherche, cela ne peut pas être toute la recherche. Des organismes profitent de cette tendance des universités pour développer des formations très lucratives sur les violences sexistes et sexuelles. Des associations étiquetées antiracistes, qui sont en fait islamistes, sont financées par les institutions européennes.
Wokisme et culture
Pour Paul Sugy, journaliste au Figaro, le monde de la culture et de l’art est aussi perméable à ce mouvement comme l’a montré la cérémonie des César lors de la remise du prix à Roman Polanski et du scandale que cela avait engendré en raison de son inculpation aux USA dans le cadre d’un scandale sexuel, assimilant l’homme à son œuvre. Il en fut de même à la Sorbonne pour les Suppliantes d’Eschyle qui, en mars 2019, ne put être représentée, car bloquée par des groupuscules antiracistes au prétexte que les comédiens portaient pour certains un masque noir et que la pièce était « colonialiste, afrophobe et raciste ». 
Wokisme et déconstruction
Le wokisme naît aussi du concept philosophique de la déconstruction forgé par Martin Heidegger, repris par Jacques Derida, pour la déconstruction du discours, Michel Foucault pour la déconstruction des pouvoirs, Jean-François Lyotard pour la déconstruction de la notion de vérité, et qui nous sont revenus déformés et altérés sous le qualificatif de French theory. Cette interprétation erronée et militante énonce l’idée qu’il n’y a pas de différence de nature entre le savoir et l’opinion, la science et l’idéologie, rendant ainsi légitimes des études universitaires (studies) dédiées à la description et la dénonciation de toutes formes de discrimination basées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion, etc.
Déconstruire le privilège blanc, le roman national, les stéréotypes de genre et de sexe. L’université joue un rôle clé dans ce constat en apportant une caution intellectuelle et institutionnelle à un mouvement révolutionnaire. Le courant de la déconstruction est devenu un nouvel ordre moral. Il ne suffit plus de penser et d’enseigner, il faut faire triompher la justice sociale, non pas en s’intéressant concrètement au sort des défavorisés ou des opprimés mais en promouvant une police du langage et de la pensée, en agissant par un terrorisme intellectuel par le biais de la censure et de l’intimidation.
Ce mouvement wokiste a alerté, ou inspiré le monde politique français, selon qu’on soit de droite ou de gauche.
Wokisme et politique en France
Pour la droite, à l’initiative du groupe sénatorial majoritaire, le sénat a organisé un débat pour interpeller le gouvernement sur les menaces que le wokisme faisait peser sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques. Ce mouvement inquiète car c’est à l’université que se forme l’esprit critique des jeunes français et ils ne veulent pas que cet esprit soit parasité par des visions manichéennes de la réalité qui opposent dominés et dominants et que les salles de cours se transforment en lieu d’endoctrinement. C’est dans ce sens que le sénateur Max Brisson s’exprime : « Je suis convaincu que laisser cette idéologie nauséabonde prônant la dissolution de toutes normes se diffuser c’est porter atteinte à l’essence même à notre démocratie qui vit par le débat et la confrontation d’idées et non par la censure et le relativisme, et que l’université par excellence est le lieu où il faut protéger le débat et la confrontation pacifique et régulée des idées afin que progresse la connaissance et que s’établisse la vérité scientifique ». Par la voix de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation Nationale, Sarah El Haïri, le gouvernement s’est exprimé pour affirmer que, pour lutter contre ces discriminations et ces inégalités la réponse était universaliste, que tout le monde doit se lever quand il y a des actes de racisme, de sexisme ou d’homophobie afin de ne pas réserver ce combat à des minorités, d’où la plate-forme lancée le 12 février 2021 et dont la gestion a été confiée au Défenseur des droits, autorité administrative indépendante, pour alerter et dénoncer les discriminations quand elles se font jour.
Pour Nathalie Heinich, à partir des années 80, l’extrême gauche et LFI considèrent que les musulmans de France sont les nouveaux prolétaires qu’il faut défendre, ce que démontre Pierre André Taguieff en parlant de la collusion entre certains groupes d’extrême gauche et le militantisme islamiste en France ou à l’étranger. Ainsi se sont développés les réseaux fréristes (Frères musulmans) qui pratiquent l’entrisme par le biais d’influenceurs. C’est dans ce contexte qu’a été remis au goût du jour le néologisme islamophobe né en 1910 sous la plume d’ethnologues, et réapparu en 2011 après les attentats du 11 septembre. Ce terme interdit toute critique des mouvements islamistes intégristes au risque d’être taxé de racisme.
L’intersectionnalité.
En 1978, Awa Thiam dans son essai La Parole aux négresses, sur la place des femmes noires francophones dans le mouvement féministe, produit une base théorique à l’intersectionnalité sans pour autant la dénommer ainsi.
Ce terme d’intersectionnalité (de l'anglais intersectionality) ou intersectionnalisme, revient à l’universitaire afro-féministe américaine Kimberlé Williams Crenshaw en 1989. Certains utilisent un autre vocable pour désigner le même phénomène,  interconnectivité ou identités multiplicatives. Quel que soit le nom, c’est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, pour désigner la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, de domination ou de discrimination dans une société.
Pour Kimberlé Williams Crenshaw cela dénonce spécifiquement l’intersection entre le sexisme, le racisme et la pauvreté subis par les femmes afro-américaines. Mais son sens s'est élargi pour étudier des formes de domination, d'oppression et de discrimination, non pas séparément, mais dans les liens qui se nouent entre elles, en partant du principe que les différenciations sociales comme le genre, la race (même s’il n’y a pas de preuve biologique de son existence), la classe sociale, la couleur de peau, la nation, la religion, la génération, la sexualité, le handicap, la santé mentale, l’orientation sexuelle, y participent et ne sont pas cloisonnées.
Cependant, pour Kimberlé Crenshaw, « Il y a eu distorsion de ce concept d’intersectionnalité. Il ne s’agit pas de politique identitaire sous stéroïdes. Ce n'est pas une machine à faire des mâles blancs les nouveaux parias. ». Même sur un sujet aussi important il y a des dérives extrémistes qui nuisent au projet initial.
A titre d’exemple on pourrait citer Sammy Davis Junior qui faisait de l’intersectionnalité sans le savoir. Alors qu’il disputait une partie de golf, son partenaire lui demanda son handicap, à savoir son niveau de golf. Il répondit : « Tu parles d’un handicap ! Je suis borgne, négro et juif ! ».
Wokisme et intersectionnalité
On voit qu’il y a des similitudes entre le wokisme et l’intersectionnalité puisque l’un dénonce l’addition des discriminations des minorités et que l’autre étudie scientifiquement les interactions cumulatives que subissent ces minorités. De ce fait, des intellectuels de tendance conservatrice ou républicaine voient dans l’intersectionnalité une culture woke venue de la gauche américaine. Ce courant tend selon eux à réduire l’analyse des réalités sociales au rapport dominant-dominé en faisant émerger des concepts non scientifiques tels que le suprémacisme blanc ou le racisme institutionnel. Mais aux USA, peut-on nier ce suprémacisme blanc et le racisme qui, après l’apartheid heureusement disparu, s’expriment néanmoins de façon brutale dans l’action des Qanon, Volverine Watchmen, Troupers center, Américan love, 6MWE (6 Million Wasnt Enough), Nativistes, Ku Klux Klan et autres milices armées qui perpétuent des débordements intolérables.
Cette notion de dominant-dominé conduit des pays comme la Russie et la Chine, mais aussi certains membres des BRICS, à l’exploiter pour dénoncer la culture occidentale et développer un concept plus proche de leur idéologie dans un esprit de revanche, de domination et d’hégémonie. Ils fédèrent progressivement des pays qui, en d’autres temps, ont souffert de la colonisation, alors qu’eux-mêmes développent une autre forme de colonisation, moins violente, certes, mais tout aussi délétère pour les pays qu’ils prétendent défendre.
Wokisme, communautarisme et identitarisme
Pour certains, le wokisme est l’arbre qui cache l’intersectionnalité, ou l’inverse.
Contrairement à l’universalisme républicain qui ne reconnaît que des citoyens égaux en droit, le communautarisme lie les individus à des appartenances ethniques, religieuses. Le wokisme étend ces appartenances à d’autres caractéristiques, sexe, niveau social, préférences sexuelles, etc. Ce communautarisme va jusqu’à des revendications identitaires peu compatibles avec la vie en société. Cette attitude a conduit le gouvernement français à préparer un projet de loi initialement intitulé « sur le séparatisme » mais rebaptisé « loi confortant le respect des principes de la République ». La France, se refuse à établir des statistiques ethniques au nom de la conception « d’indivisibilité » et d’universalité, car cela conduirait à assigner les personnes à une identité et à découper la population en catégories pour introduire des logiques de quotas. De ce fait, elle est accusée d’ignorer la réalité des discriminations.
Pourtant ces discriminations se retrouvent dans les mouvements wokistes, témoins les deux exemples qui suivent. Comme le décrit la journaliste Nora Bussigny dans son enquête en immersion dans l’univers woke, les manifestations  féministes veillent, selon la nature de leur combat, à n’accepter dans leurs rangs que des femmes racisées1, en non mixité2, rejetant les femmes blanches, hétérosexuelles et cisgenre3. Certains groupes comme les TERF4, n’acceptent pas les femmes transsexuelles, et les SWERF5 ostracisent les travailleuses du sexe qu’elles ne considèrent pas bienvenues dans le combat féministe. Il va sans dire que les HSBC (Homme, Straight (hétérosexuel), Blanc, Cisgenre) sont exclus par nature.
Dans les manifestations LGBTQIA+6 les HSBC peuvent aussi être exclus. Parfois il faut en plus être racisé, excluant ainsi des manifestations le compagnon ou la compagne qui ne répond pas à ce profil. Il n’y d’ailleurs plus de frères ou de sœurs, termes jugés trop binaires, mais des adelphes. Pour un combat en faveur des minorités opprimées, le constat est affligeant et montre jusqu’à quel point le wokisme peut être sectaire, stigmatisant, séparatiste, incapable de rassembler ceux-là mêmes qu’ils jugent être l’objet de discrimination en établissant des sous-catégories elles-mêmes discriminantes et contraire au combat menés sous cette bannière. Un comble.
L’écriture inclusive.
La volonté d’une partie de la population de développer l’écriture inclusive participe aussi d’un égalitarisme. Ainsi, parallèlement à la féminisation de certains noms de métiers qui ne l’étaient pas encore, est apparu le pronom « iel », contraction de « il » et de « elle » pour désigner une personne quel que soit son genre. Dans ces milieux woke, il est de plus en plus d’usage de demander à chacun quels sont ses pronoms pour éviter de « mégenrer7 » afin de savoir si la personne s’identifie comme « il », « elle », « iel » ou autre. Est-ce un véritable progrès que l’inclusivité qui rend l’oralité et le discours plus difficilement compréhensibles et indifférencie le masculin du féminin au nom de la théorie du genre en ne distinguant pas le seul critère biologique du sexe, mais en considérant l’origine éminemment sociale et arbitraire de l’inégalité des sexes dans de multiples domaines, même si l’environnement social et culturel a son importance dans la construction de l’identité sexuelle ? L’intersectionnalité a remporté un grand succès dans les études de genre en abordant, dans la question du féminisme, les différences entre femmes, en soulignant notamment celles concernant la race, le genre et la classe. Certains individus vont jusqu’à se dire xénogenre, à savoir qu’il ne se reconnaissent pas dans le genre humain mais s’identifient à des images personnelles plus ou moins abstraites. Un vrai délire.
Pour que chacun ait sa place dans la société, le Haut Conseil à l’intégration a publié en 1991 un rapport « pour un modèle d’intégration », en la définissant comme une voie moyenne entre l’assimilation et l’insertion. Il la définissait ainsi : « Il s’agit de susciter la participation active à la société active nationale d’éléments variés et différents tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété. » Il semblait pourtant que cette définition intégrait tout le monde, sans communautarisme en évitant la dissolution d’une culture dans une autre, ce que provoquerait l’assimilation.
Wokisme et science
De plus en plus d’étudiants et d’universitaires contestent les connaissances acquises par les sciences et notamment en biologie, en particulier pour ce qui est de l’évolution de l’espèce, de l’idée de nature humaine, de la génétique ou des différences entre hommes et femmes. Selon Thomas Mahler, le wokisme repose sur trois dogmes :
    1. L’être humain ne serait qu’une « page blanche » entièrement façonnée par la société.
    2. L’égalité entre individus ne pourrait qu’impliquer leur similarité sur le plan biologique.
    3. La science n’est qu’une construction culturelle comme les autres, ce qui a pour conséquence de vouloir « décoloniser, car trop « occidentale » ou « blanche ».
Il y a confusion entre science et morale, pour abolir tout ce qui dans la nature s’oppose à leur credo progressiste. Ils ne prennent que ce qui convient pour conforter leurs idées.
Le wokisme revendique la soumission de la visée scientifique de production et de diffusion de connaissances à une visée politique de défense des exploités (vision marxiste), des opprimés ou des colonisés (version tiers-mondiste), des dominés (version sociologie critique), ce qui est estimable au plan politique mais contraire à l’objectivité scientifique. Le savoir est contaminé par l’idéologie.
Les réseaux sociaux sont aussi gagnés par le wokisme. Les opinions et les croyances supplantent la science, témoin les réactions non fondées sur les vaccins contre le Covid. La subjectivité l’emporte sur l’objectivité, l’émotion sur la raison. Ce manque de rationalité est en faveur des fakenews, des deepfakes et des théories complotistes qui inondent ces mêmes réseaux sociaux, quand ce ne sont pas les media à travers les chaînes d’information en continu, contraintes à formuler des hypothèses, des supputations plus ou moins alarmistes pour combler l’absence de faits vérifiés et maintenir l’audimat. Plus que jamais l’esprit critique est indispensable pour rechercher la vérité. Mais le wokisme, par ses excès et son jusqu’au-boutisme nuit à sa propre démarche.
Sous couvert de la prise en compte des imperfections évidentes de nos sociétés, les wokistes se montrent intolérantes contrairement à leur volonté affichée de défendre les minorités. Le propos est louable et légitime, mais un militantisme exacerbé et outrancier nuit à la cause qu’il veut défendre car il ne souhaite atteindre ses objectifs qu’en rendant la majorité minoritaire, ce qui n’est pas mieux. Comme le dit Kimberlé Williams Crenshaw : « Ce n'est pas une machine à faire des mâles blancs les nouveaux parias ». Les meilleurs combats, dès qu’ils vont vers les extrêmes perdent leur légitimité.
Nier le progrès, c’est nier l’humanité qui, depuis l’aube des temps, n’a eu de cesse d’évoluer pour de meilleures conditions de survie dans un premier temps, puis de qualité vie dans un second. Certes, toutes les sociétés n’ont pas évolué au même rythme et parfois même sont restées dans le même état. Les évolutions se sont construites en générant des différences de plus en plus importantes les unes par rapport aux autres et les rencontres ne se sont pas faites de façon concertée et équilibrée mais plutôt sous le sceau de la violence. Les uns, plus forts ont opprimés les autres plus faibles. Il est bien évidemment nécessaire et équitable de rétablir un équilibre et de développer une façon de vivre ensemble sans assujettissement parce que l’autre plus faible, d’une autre religion, d’un autre sexe, d’une sexualité différente. Mais ces reproches qui sont faits à juste titre à l’Occident, les autres pays en sont-ils exempts ? Quelle est la situation des femmes en Asie ou en Afrique, celles qui subissent infibulation et excision et sont inféodées aux hommes tout puissants ? Qu’en est-il de la situation des Africains dans les pays arabes où sévit encore l’esclavage ? Quel est le sort des homosexuels dans ces mêmes pays africains ? Qu’en est-il des Ouighours en Chine, réduits en esclavage par les chinois Hans ? Et des Rohingyas dans ce pays bouddhiste de Birmanie supposé pacifique, des Talibans qui oppriment leur population et plus particulièrement les femmes ? On pourrait allonger la liste sur de nombreuses pages et constater que l’Occident n’est pas aussi répréhensible qu’on veut bien le présenter.
Certes l’Occident n’est pas parfait et la prise de conscience qu’il existe encore des minorités dans cette dualité dominants-dominés est juste et ne peut être remise en cause. Mais l’intersectionnalité ; qui prend en compte plusieurs facteurs de discrimination, est plus à même de rétablir l’égalité que le wokisme beaucoup trop drastique et oublieux du passé qui constitue nos racines. S’il faut élaguer l’arbre pour rendre sa ramure plus harmonieuse, ce n’est pas en coupant ses racines que l’on obtiendra ce résultat. Au contraire c’est la meilleure façon de tuer l’arbre et la civilisation.
L’humanité s’est construite en s’appuyant sur les générations précédentes. Quelles que soient les erreurs qu’ont pu commettre nos prédécesseurs rien ne justifie l’éradication de notre histoire. Tenons compte de ces erreurs et du contexte dans lequel elles se sont développées pour améliorer et non pour condamner, ce qui est trop facile et improductif.
Il est possible que le wokisme soit une réaction identitaire et communautariste à la mondialisation qui nivelle les cultures en un tout uniforme et indifférencié un peu comme au XIXe siècle le firent le spiritisme et l’occultisme en réaction au développement de la science.
Le wokisme, dont la proximité avec la cancel culture est évidente, sous des dehors nobles conduit au sectarisme, à l’intolérance, à la division, au rejet, à l’exclusion qu’il est sensé combattre et au mépris du passé qui nous a construits.
La nature humaine est complexe et elle évolue au fil du temps, rendant inacceptables certaines erreurs du passé sans pour autant les ignorer. Ces dernières sont des repères à partir desquels on peut mesurer le chemin parcouru et celui qui reste à faire.

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