Nos ancêtres les Carnutes
Carnute, c’est d’abord un territoire, une très vaste province dans le sud-ouest du Bassin parisien, à savoir l'actuel département d'Eure-et-Loir, une grande partie du Loiret, du Loir-et-Cher et des Yvelines, avec deux villes principales, Cenabum (Orléans) qui en était l’emporium, le port, et Autricum (Chartres) l’oppidum principal. Que savons-nous des Carnutes ? Un article de Philippe Rossell.
L'étymologie du terme reste incertaine. En gaulois, les carnutes désignent ceux qui ornent leurs casques de cornes, leur dieu tutélaire étant Cernunnos, dieu aux cornes de cerf. Cependant, la mise en relation Carnutes-Cernunnos paraît aujourd’hui abandonnée. Il pourrait aussi provenir du celte cairn désignant un monticule de pierres. Certains y voient une relation avec la toponymie du pays chartrain, d’autres un rapport avec les mégalithes pourtant antérieurs puisque datant du néolithique.
César nous apprend dans "La guerre des Gaules" que les Carnutes possédaient également beaucoup de places fortes et de villages, qui conservent aujourd’hui encore leur toponymie celtique (Châteaudun, Meung-sur-Loire, Neung-sur-Beuvron, Nogent-le-Roi, Nouan-le-Fuzelier, …).
Les Carnutes, c’est aussi un peuple celte, établi sur ce territoire. Ces celtes, peuples indo-européens qui ont migré à partir du 6ème millénaire en plusieurs vagues, pour partie vers l’Inde et pour autre partie vers l’Europe de l’ouest. Il existe d’ailleurs des similitudes entre la mythologie, les rites et les déités hindoues et celtiques. N’imaginons pas que les Celtes étaient confinés dans les régions qui ont préservé une culture et une langue celtique, comme la Bretagne. En réalité ils peuplaient une bonne partie de l’Europe. Les Celtes gaulois (de -800 à 52, à l’âge du fer donc), c’est environ 15 millions d’habitants, répartis en 80 peuples et 500 tribus.
Monnaie carnute
La situation des Carnutes profite du double débouché de la Loire vers le sud et de l'Eure vers le nord pour pratiquer le commerce. On retrouve leur monnaie dans tout cet espace. C’est un des peuples les plus célèbres de la Gaule celtique bien qu’il n'apparaisse pas parmi les plus puissants. L'exploitation agricole de la riche terre de Beauce, et l'activité commerciale d'un pays situé au carrefour d'importantes voies de communication favorisent leur relative prospérité. Dans la géographie de Ptolémée au 2ème siècle, la situation bipolaire du pays carnute, entre Cenabum, capitale économique, et Autricum, capitale politique, imposant des déplacements aisés, trois voies différentes existaient entre ces deux oppida.
Il est certain que les Carnutes étaient connus de longue date, puisque l’historien romain Tite-Live évoque leur participation à la vague d'émigration gauloise qui franchit les Alpes et déferla en Italie. Au seuil de l'ère chrétienne les choses ont bien changé. La toute-puissance romaine tolère peu l'esprit d'orgueilleuse indépendance dont font preuve les nations gauloises. Parmi elles, les Carnutes se montrent particulièrement agités.
Lors de la guerre des Gaules, la mise à mort atroce par les romains d’un chef Senon (tribu voisine des Carnutes), contribue à exaspérer les nations gauloises qui malgré leurs luttes intestines finiront par faire cause commune. Les guerriers étaient impressionnants, en particulier grâce à leurs cors de guerres , qui pouvaient atteindre trois mètres de haut, les carnyx. Les chefs s’assemblent « dans des endroits isolés en forêt ». Cette réunion mémorable dans l’histoire des Gaules doit-elle être mise en relation avec l’assemblée annuelle des Druides ? On en discute depuis longtemps et le problème est loin d’être résolu… Les Carnutes en tout cas y proclament dans l’enthousiasme général que « nul péril ne les arrêtera dans la lutte pour le salut commun et qu’ils seront les premiers à prendre les armes ». De fait en février 52 avant notre ère, ils se dirigent vers Cenabum et y massacrent les citoyens romains qui s'y trouvaient, pillant leurs biens.
S’opposant ainsi à l’oppression, l'expédition des Carnutes déclenche l'insurrection gauloise. César repasse les Alpes pour mater la révolte et ajouter ce riche pays des Celtes au vaste empire romain. Il vainc aisément les Sénons et gagne Cenabum. La ville est pillée, incendiée, ses habitants massacrés ou mis en esclavage. Après la bataille d'Alésia, à laquelle a participé un fort contingent de Carnutes, le peuple de la Beauce gauloise refuse de s'avouer vaincu mais est vite soumis par les légions romaines.
L’année suivante, les Carnutes se soumettent. Jules César vint à Cenabum se faire livrer le chef de la sédition carnute. Sa mise à mort, marque la fin historique des Carnutes, fondus désormais dans un indistinct peuple gallo-romain. Reste leur vaillance, ce qu'on qualifierait aujourd'hui d'esprit de résistance.
Ce chef de la révolte, Gutuatrus (ou Gutuatus), portait le titre de Gutuater. C’était un membre de la classe sacerdotale, un druide.
Les Druides. Comment en effet parler des Carnutes sans évoquer les Druides ? Les Carnutes sont célèbres pour leur lien, réel ou présumé, à la religion gauloise.
Au temps des Druides, la forêt des Carnutes s’étendait de la Seine à la Loire. Située au centre de la gaule, elle était le siège de ce culte. Nous avons évoqué la mythique forêt des druides, ce lieu retiré et tout entouré de forêts où fut prêté le fameux serment et préparée la révolte des Gaules, le locus consecratus, inaccessible sanctuaire, était selon César situé sur les frontières des Carnutes (peut-être près de Saint-Benoît-sur-Loire). C'est dans les profondeurs de quelque bois sacré que les Carnutes furent contraints de chercher un refuge après la victoire de César. Les fugitifs y trouvaient non seulement l'abri de bois impénétrables mais aussi la protection de leurs dieux et les encouragements de leurs prêtres.
N’imaginons pas toutefois ce locus consecratus comme un endroit retiré, quasi inaccessible, où quelques druides se réunissaient mystérieusement. Si écarté qu'il pût être et tout entouré de forêts, c'était là pourtant que se tenaient les conseils celtiques (amphictionies), grands jours de la Gaule à la fois judiciaires, religieux, politiques et sans doute commerciaux, et, les foules y confluaient de toutes parts. Notons que cette partie du territoire carnute est de toute la France celle où le gui de chêne est le plus fréquent.
Une difficulté : Dès que l'on aborde le domaine celtique, que ce soit au niveau de la civilisation, du druidisme ou de la mythologie, on se trouve inévitablement confronté au problème des sources. Le Druidisme est la religion des anciens Celtes. Les romains puis le christianisme ont fait en sorte de se débarrasser de ce paganisme. Les Druides (« dru-wid-es » signifie très savants) n'écrivaient pas et ont systématiquement privilégié une transmission orale de leur savoir, dont la mémorisation de milliers de vers. Il ne nous reste donc que les découvertes archéologiques et des textes grecs ou latins, puis plus tardivement irlandais ou gallois, qui décrivent la mythologie celtique pour en redécouvrir la pensée et les croyances. Par ailleurs, le druidisme a au cours du temps amalgamé différentes traditions et différents mythes qui ne permettent pas, avec un écart de 2 millénaires, d’en reconstituer le corpus.
C’est donc avec prudence et humilité que j’avance ces quelques vérités d’aujourd’hui.
Les druides, qui représentent la classe sacerdotale, sont les intermédiaires entre le monde terrestre et l’au-delà, les intercesseurs entre les Hommes et les Dieux. Ces guides spirituels de la communauté dirigeaient les cérémonies sacrificielles, prédisaient l’avenir et remplissaient la fonction de juge suprême. De père en fils, ce sont des savants qui peuvent interpréter les signes de la nature, suivre la course du soleil, celles de la lune, et aussi des étoiles, construire des calendriers astronomiques marquant les solstices et les équinoxes, concocter avec les baies et les feuilles de puissants remèdes selon des recettes secrètes transmises de générations en générations… Le calendrier celte était d'une précision stupéfiante, basé à la fois sur le cycle lunaire et le cycle solaire, très en avance sur les Romains.
Les druides étaient des philosophes et des savants, des penseurs et des sages dont les conseils guidaient la société ; Ils pouvaient aussi instruire la jeunesse et soigner les malades en faisant appel aux secrets de la Nature. Le Druide, c’est donc à la fois le sorcier, le sage, le médecin.
Les cérémonies rituelles se tenaient en pleine nature, là où l’âme est en harmonie avec son créateur. La cueillette du gui faisait partie des fonctions sacrées. Tous les ans à l’automne, au 6ème jour après la nouvelle lune, la même scène se répétait dans les forêts de chênes, où seules les jeunes filles vierges avaient le droit d’être présentes quand les prêtres celtes coupaient le gui avec leur faucille en or. Les Druides étant les seuls à pouvoir utiliser le gui lors des cérémonies rituelles, cette plante est devenue leur symbole.
Des croyances celtes, la sacralité de la nature est sans doute la mieux connue, les Celtes et leurs Druides vénéraient les chênes, le gui, la verveine… Le lien sacré de la Nature et du Druide ne font pas de doute. La terre dans son ensemble est sacrée, elle est la Terre Mère. Comme sont sacrés les lieux des Ancêtres (nécropoles, cromlechs, dolmens), honorés par des prières, des offrandes, des rituels.
Le panthéon celtique est extraordinairement riche d’innombrables divinités. C’est un univers religieux complexe, dont la part d’inconnu reste considérable. Contrairement aux dieux romains ou grecs, les dieux celtes n’ont à l’origine pas de représentation, ils sont essentiellement mouvants, sujets à moult métamorphoses et ressemblent plus à ce que Jung nomme archétypes. Il existe plusieurs centaines de dieux et de déesses. La reconnaissance du féminin comme d’essence sacrée est primordiale (Peut-être la Vierge de la cathédrale chartraine, y compris dans sa crypte, s’origine-elle à ses racines…)
Chaudron de Gundestrup : objet cultuel celte, sur lequel se trouvent représentés, entre autres,
Taranis et Cernunnos.
Bien que leur rôle et leurs caractéristiques soient souvent interchangeables, on peut distinguer parmi ces dieux une triade Taranis / Esus / Toutatis.
- Toutatis(de teuta - tribu et tato - père), considéré comme le dieu du ciel, assimilé postérieurement tantôt à Mercure, tantôt à Mars
- Taranis(de taran - tonnerre), dieu solaire dont les attributs indiquent qu'il est aussi dieu du tonnerre, dieu de la guerre, dieu du feu, dieu des morts, mais aussi dieu du ciel.
- Ésus, dieu artisan, dieu des voyages, protecteur des commerçants, défricheur de forêts et charpentier.
J’évoquerai aussi le déjà nommé Cernunnos (le cornu), dieu de la virilité, des richesses, des régions boisées, des animaux, de la régénération de la vie et gardien des portes de l'autre monde, qui connaît une nature cyclique
Et enfin, comment ne pas évoquer Sucellus (celui qui frappe fort), surnommé « le dieu au maillet » car représenté comme un homme d'âge mûr muni d'un long maillet à double tête qui possédait la vertu de tuer ou de ressusciter les êtres. C'était un dieu de la nature, du sol et de la nuit.
Dans le monde carnute, le religieux est encadré par un ensemble plus ou moins hiérarchisé de Druides, mais se vit au quotidien et est partagé par tous. L’homme du peuple est très croyant, et pratiquant, le religieux fait partie de son quotidien. Les fêtes celtiques sont connues pour avoir été des assemblées auxquelles chacun assiste et participe. Elles sont aussi des marchés, des joutes, où le sacré s’imprègne. Toutes sont closes par de gigantesques banquets, bacchanales collectives réunissant des centaines de personnes… Savaient-ils déjà combien importent des agapes fraternelles ?
Philippe ROSSELL
Histoire populaire de l'Eure-et-Loir
Le Cercle Condorcet-Viollette propose en ligne l'Histoire populaire de l'Eure-et-Loir
Les Cercles Condorcet sont affiliés à la Ligue de l'enseignement. Mouvement d'éducation populaire laïque, la Ligue est une confédération réunissant des Fédérations départementales, dont celle d'Eure et Loir. La Ligue est aussi un mouvement d'idées. Les initiatives des Cercles sont accompagnés par une édition "Cercles Condorcet" sur Médiapart. La Ligue anime également une édition "Laïcité".
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