On ne peut plus être laïque sans être féministe !
Danièle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, a fortement affirmé: «Il faut travailler à ce que le combat pour la laïcité devienne un combat féministe». Cette intervention s'est déroulée dans le cadre des nouvelles Rencontres laïques organisées par la Ligue de l'enseignement le 22 janvier devant les membres d'une trentaine d'organisations. C'était la première édition. Elle était consacrée au thème "La Laïcité et l'égalité femmes hommes". La prochaine édition, prévue le 5 juin aura pour thème "La Laïcité et la liberté d'expression".
Voici la transcription intégrale de l'intervention de Danièle Bousquet.
La laïcité a été conçue au début du XXè siècle par une génération d’hommes politiques, mais les femmes étaient invisibles, tout au moins comme actrices de la société ; la société des citoyens était neutre, ce qui, dans la langue française, signifie exclusivement masculine. Les grandes figures laïques de l’époque témoignent d’une surdité totale aux aspirations égalitaires des femmes et furent même souvent des apôtres du machisme politique : les femmes, toujours enfermées dans le particulier, la femme, considérées comme une minorité. Pire, pour nombre de fervents laïques, nous étions les femmes, éminemment suspectes puisque, disaient-ils, trop prisonnières de cette « nature féminine » qu’ils avaient inventée pour nous y assigner, trop vulnérables aux sentiments pour accéder à la Raison.
Nous avons entendu le mouvement laïque nous parler de lutte contre les discriminations, contre le racisme, l’antisémitisme : jamais de lutte contre le sexisme. Et dans les débats au sein des mouvements laïques, la place de l’égalité des sexes a toujours été marginalisée et la situation des femmes n’a été prise en compte que très récemment, lorsque la question est devenue brûlante. Ce qui est important pour notre réflexion aujourd’hui, c’est de dire que la Révolution française n’a pas reconnu les droits des femmes et que cela a duré puisque la loi sur la laïcité date de 1905, et celle sur le droit de vote des femmes arrivera 70 ans plus tard.
Malgré son exemplarité réelle en matière de laïcité, la société française a continué à avoir un rapport ambigu avec un ordre moral aux relents clairement religieux qui ne faisait aucune place à l’égalité des sexes.
Danièle Bousquet
Évolution de la laïcité à travers la lutte pour l’IVG
Ce qui a été déterminant dans l’évolution de la laïcité en direction des droits des femmes, cela a été la lutte pour le droit à l’IVG dans la décennie 1970. Car les femmes s’affranchissent du poids des religions par les revendications de disposer librement de leur corps, de leur esprit, et d’avoir la maîtrise de leur désir d’enfant. Si laïcité et Révolution n’ont pas reconnu d’emblée l’égalité entre les hommes et les femmes, est-ce que, pour autant, la laïcité n’était pas importante pour les droits des femmes ? Évidemment oui, car la laïcité a ouvert la voie pour la lutte vers la démocratie.
Est-ce qu’on pourrait imaginer, si la laïcité n’était pas instaurée et reconnue, ce que serait, en France, pour les femmes, l’accès au droit à disposer de leur corps sous le pouvoir de l’Église catholique ?
L’Histoire a tranché : les femmes, au bout du compte, ont pu s’appuyer sur la laïcité pour faire avancer leurs droits et exiger de la République leur reconnaissance. Et aujourd’hui, les femmes le savent bien : tout recul de la laïcité signifierait pour elles une remise en cause de leurs conquêtes, si l’Eglise faisait la loi, n’importe quelle Eglise, que ce soit la loi islamique, juive ou catholique. Dès l’instant où la religion devient la loi, l’égalité des sexes est finie. Pourquoi ? La question mérite qu’on y réfléchisse et il y a deux mots dans cette révolution de la laïcité qui sont importants : justice (qui est synonyme d’égalité), et émancipation.
La laïcité est une émancipation de la loi religieuse : en effet, comment lutter pour l’autonomie des femmes si on leur fait croire que c’est leur dieu qui a ordonné. Car l’obéissance aux prescriptions divines se matérialise par l’obéissance aux hommes, détenteurs de la pensée et de la parole révélée. A l’inverse, la laïcité porte un message objectif : celui des valeurs républicaines que sont la liberté, l’égalité (dont celle entre les femmes et les hommes) et le respect de la démocratie.
Qu’est-ce qui explique qu’aujourd’hui la laïcité fasse problème dans notre société ?
Beaucoup répondraient que c’est «la faute à une nouvelle religion, l’Islam !» dont les principes seraient résolument contraires à ceux de la République. Cette réponse, entendue mille fois, n’a que l’apparence de la clarté et de la justesse. Ce qui est en cause, c’est la définition de religion dans ses rapports avec l’ordre public, entendu au sens large comme l’ensemble des principes fondamentaux de la démocratie. Cette remise en cause actuelle montre que la loi de 1905 n’a pas clôturé définitivement le champ de la laïcité, car des situations se trouvent en marge de ce texte, mais aussi parce que l’évolution sociale a ouvert de nouvelles questions qui n’étaient pas prévues il y a un siècle.
Par exemple, la place spécifique de l’égalité femmes/hommes dans les champs de la laïcité n’est pas strictement définie, ni par la loi, ni par les penseuses/penseuses ancien.nes et actuel.les de la laïcité. Dans les faits, l’égalité femmes/hommes est cependant très étroitement liée au principe de laïcité pour une raison très simple : parce qu’elle tient les religions à l’écart de la sphère publique, la laïcité protège les progrès de l’égalité ! Il faut rappeler que la laïcité n’est pas la destruction des croyances, mais la distinction entre ce qui relève de la croyance et ce qui est du domaine de la connaissance.
L’État laïque ne tient sa légitimité d’aucune religion, ne professe aucune croyance religieuse et ne se mêle d’aucune, tout en assurant aux agnostiques et athées une pleine liberté de conscience. Cela signifie que la laïcité organise une société dont tous les membres sont juridiquement et politiquement égales/égaux, indépendamment de l’origine, du sexe, des options philosophiques ou religieuses. Cela signifie aussi que la laïcité refuse toute implication de l’État dans les affaires religieuses, et toute implication des religions dans les affaires politiques, dit autrement qu’elle ne laisse aucune religion imposer ses prescriptions.
Ces principes de la laïcité, on le voit bien, sont essentiels pour garantir les droits des personnes, dont les droits des femmes. C’est ainsi que les lois doivent permettre le plein exercice des droits des filles et des femmes, à égalité avec les garçons et les hommes, contribuant ainsi à éliminer les discriminations qui les assujettissent à un statut d’infériorité caractérisé par la dépendance et la soumission à de nombreux interdits spécifiques à leur appartenance de genre, c’est le patriarcat dont le sexisme est le bras armé.
Les grandes religions monothéistes organisent la domination masculine
Il faut insister sur le fait que les grandes religions monothéistes dans leurs diverses déclinaisons sont les pires ennemis des femmes et de leur émancipation, en ce qu’elles sanctuarisent, organisent, transmettent et font fructifier la domination masculine née du patriarcat. La laïcité a donc donné aux combats des femmes une légitimité que les religions leur déniaient en voulant dicter leurs propres règles à l’ensemble de la vie sociale. Alors que jusqu’aux années 1980 le principe de laïcité a été parfaitement intégré par les religions qui s’en trouvaient bien, aujourd’hui, les religions chrétienne et juive sont tentées elles aussi par des retours en arrière, et certaines nostalgies se réveillent. On observe qu’une réelle désagrégation du tissu social favorise l’émergence de groupes intégristes qui interviennent au mépris des valeurs citoyennes.
Et ces groupes utilisent tour à tour un discours hypocrite de protection des femmes ou un discours d’intimidation, en cherchant à imposer leur façon de voir sur la société en général et sur les femmes en particulier. Et comme ils se rendent compte que le mouvement laïque reste généralement insensible et surtout tend à ne pas réagir aux attaques contre les femmes, ils s’attaquent donc à ce point «faible».
Dans un contexte de tension économique, sociale et culturelle, voire idéologique, depuis les années 1980, on voit émerger et prospérer des revendications identitaires :
– fondées sur la religion
– portées par les radicaux qui ne se définissent plus par leur appartenance à la République, mais par telle ou telle religion.
La lutte contre les intégrismes est une lutte vitale pour l’avenir, l’avenir des femmes et une société démocratique, et à ce titre la défense de la laïcité est d’une brûlante actualité. En effet, elle subit l’assaut de tous les intégrismes, que ce soit au niveau national, européen ou mondial. Et les femmes sont les premières victimes des extrémismes religieux, car la règle de base est la soumission absolue à l’autorité du père ou du mari.
Il ne s’agit pas alors de religion, mais d’une idéologie totalitaire qui, sous le couvert de la religion, cherche à s’emparer du pouvoir politique. Ces idéologies visent la soumission des femmes et l’élimination de leurs droits humains et il s’agit là d’une véritable guerre idéologique qui vise à installer un ordre sacré sur la Terre. Je le dis à nouveau, aucune religion n’est épargnée par cette dérive, dès l’instant où elle se transforme en source de loi et entend dicter des règles à la vie terrestre et à la gouvernance de la cité, qui est l’affaire du seul politique.
Toute insoumission au diktat est qualifiée d’hostilité envers Dieu. La même logique sert à préserver l’ordre religieux par l’infériorisation des femmes et des homosexuel.les, une hiérarchisation discriminante des croyances et le bannissement des libertés individuelles. Ces mouvements intégristes rejoignent en cela les perspectives des mouvements identitaires fondés sur l’idéologisation du christianisme et du judaïsme. Bien qu’en concurrence, ces derniers savent s’allier pour mieux contrer les avancées des droits humains.
La lutte pour le mariage homosexuel et les ABCD de l’égalité
Ce qui s’est passé en France autour du mariage homosexuel et des ABCD de l’égalité en est un exemple et se produit sous diverses formes au sein d’instances internationales chaque fois qu’il est question de l’égalité des sexes, des droits sexuels, de la liberté de conscience, etc… au prétexte de la sauvegarde d’une identité culturelle, au CSW ou au Conseil de l’Europe par exemple. Le débat autour de la laïcité s’imprègne donc de nouvelles revendications issues de milieux musulmans français qui se mettent à réinterpréter la notion de laïcité et la place de la religion dans la société. Ils appellent à une laïcité dite «positive», «inclusive», ou encore «ouverte», c’est à dire qui intègre le «relativisme culturel». C’est ainsi qu’en 2013 nous avons assisté à un phénomène étonnant qui transcendait les frontières du débat sur la place des religions dans l’espace public, en voyant naître des alliances entre islamiques, catholiques conservateurs et l’extrême droite. Les deux enjeux contre lesquels se fédère cette coalition sont les droits des femmes et les droits des homosexuel.les.
Ces conservateurs des religions interprètent la liberté religieuse comme si la religion faisait partie du code civil, des différents codes juridiques, et pouvait être la loi. A l’évidence, ce n’est pas le cas, et c’est toute la différence entre la «religion-loi» et la «religion-croyance» qu’on retrouve dans la conception laïque. L’émancipation va avec cette désacralisation des lois qui ne sont plus décrétées au nom de Dieu, mais au nom des citoyen.nes.
La laïcité est un bien précieux, à défendre sans faiblesse, car elle est protectrice des droits des femmes, indissociable du combat en cours pour leur émancipation, ce combat toujours inachevé. Dans la France qui est la nôtre, l’exigence laïque est indissociable des politiques publiques d’égalité et de nouveaux champs de liberté qui s’ouvrent depuis quelques années, comme celui de vivre sa sexualité librement. Dès que la religion (les textes) devient la source des lois qui se disent sacrées, les mêmes interdits et les mêmes contraintes par rapport aux femmes et à la sexualité sont imposés. Et ceci pour préserver la structure patriarcale de la famille, cellule de base de la communauté, menacée par la liberté sexuelle des femmes et par leur droit à maîtriser leur corps.
Il nous faut donc inventer des réponses à des questions qui n’ont jamais été posées, à des problèmes sans précédent et donc inventer une stratégie : ce qui est l’objet de toutes les attaques, ce sont les femmes, c’est pourquoi il faut allier laïcité et droits des femmes. Il faut travailler à ce que le combat pour la laïcité devienne un combat féministe en réaffirmant que l’universalisme, qui est le combat des féministes, doit gagner contre tout relativisme culturel.
Danièle Bousquet,
Présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes
Histoire populaire de l'Eure-et-Loir
Le Cercle Condorcet-Viollette propose en ligne l'Histoire populaire de l'Eure-et-Loir
Les Cercles Condorcet sont affiliés à la Ligue de l'enseignement. Mouvement d'éducation populaire laïque, la Ligue est une confédération réunissant des Fédérations départementales, dont celle d'Eure et Loir. La Ligue est aussi un mouvement d'idées. Les initiatives des Cercles sont accompagnés par une édition "Cercles Condorcet" sur Médiapart. La Ligue anime également une édition "Laïcité".